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    Carlos Schwabe, 1895-1900

    "La Mort et le fossoyeur"

    aquarelle, gouache et mine de plomb sur papier, 75 x 55,5 cm

    Musée du Louvre (cabinet de dessins).

     

    Citation de Carlos Schwabe :

    "Je pensais conquérir tout un monde, je n'aurai conquis,

    à ma fin que quelques âmes...".

      

    Carlos Schwabe est né en 1866 à Altona, près de Hambourg (Allemagne). Son père était commerçant et négociant. En 1870, la famille s'installe en Suisse, à Genève. La vocation de Carlos était aussi précoce qu'irrévocable. Rien n'a pu l'en détourner, même pas une carrière de ténor, qui aurait pu être favorisée par son oncle, chanteur à l'opéra de Berlin. Il arriva à Paris en 1884, à 18 ans et commença à gagner sa vie. Il est autodidacte. Schwabe utilise des symboles maçonniques, ésotériques, occultes (Le jour des morts). Au début de sa carrière, ses traits mêlent archaïsme et minutie (La nativité, le chant du soir). Son œuvre est influencée par l'art japonais, ainsi que par l'art médiéval et de la Renaissance). Il est un précurseur de l'Art nouveau (décor végétal). A partir de 1900, le public se désintéressant du symbolisme, il explore de nouveaux horizons (paysages, portraits). Il reprend également d'anciens thèmes, ce qui permet de se rendre compte, par comparaison, de ses progrès techniques (perte de rigidité, etc...). Mais le souci du détail est une caractéristique qu'il ne perdra jamais. L'artiste s'est marié deux fois. Ses femmes ont été pour lui des inspiratrices et des modèles. Il est  mort à Avon (Seine-et-Marne) en 1926, dans une relative indifférence. (source : bibliographie Jean-David Jumeau-Laffond, Carlos Schwabe, symboliste et visionnaire, éditions ARC, 1994).

    L'aquarelle représente deux personnages dans un cimetière. Ils sont au premier plan et occupent le bas de l'aquarelle et la partie droite. Il y a un ange noir et un fossoyeur. Ils se trouvent sous un saule pleureur qui n'a pas de feuilles (c'est l'hiver). Les tombes sont au second plan, sur la gauche. Elles sont couvertes de neige. Tout est immobile.

    Le fossoyeur est en train de creuser une tombe. Le travail est bien avancé. Il est dans le trou. Au-dessus de lui, un ange aux ailes noires est accroupi.

    C'est Maria, la première femme de Carlos qui a servi de modèle à l'ange noir. Son visage est paisible. Il semble sûr de lui. Son regard est baissé en direction du fossoyeur. Il est jeune, gracieux, féminin. Ses doigts sont anormalement longs et ont quelque chose d'animal. La pose est incongrue et plutôt inconfortable (accroupi, pieds nus, bras levé). L'ange porte une longue robe noire avec de nombreux plis et une ceinture noire. Le drapé fait penser à ceux du peintre Edward Burne-Jones (préraphaélite). La coiffure est assez typique du début du vingtième siècle (cheveux coupés court qui forment deux bandeaux). La tresse qui passe sur son front revient assez souvent dans les œuvres de Schwabe et s'inspire entre autres des représentations médiévales.

    Le fossoyeur est âgé. Sa peau est ridée. Il porte une longue barbe blanche. Ses cheveux blancs sont assez longs. Lui aussi est vêtu de noir. Il n'est pas très couvert malgré le froid. Son corps est sec et musculeux. Il a l'air en bonne santé et pourrait encore vivre un certain nombre d'années.

    La moitié de l’œuvre est sombre (celle avec les personnages), l'autre est claire (cimetière enneigé). Les deux parties sont délimitées par une diagonale.

    La mort : L'hiver, la neige, l'immobilité et le cimetière symbolisent la mort. Le saule pleureur évoque le regret, la nostalgie, la tristesse et la mort, mais c'est aussi un arbre de vie. La lumière du couchant est visible en haut à gauche de l'aquarelle. Il s'agit aussi du crépuscule de la vie.

    L'ange : Les branches du saule et les grandes ailes noires de l'ange plongent dans l'excavation. Les ailes de l'ange ont une forme enveloppante qui suggèrent l'affection et la possession. La forme de l'aile est aussi celle de la faux, accessoire de la Mort. L'ange tient une flamme verte dans la main. Le vert est la couleur de l'éternité et de la régénération.

    Le fossoyeur : Son visage est levé en direction de l'ange. Il a en même temps l'air émerveillé, surpris et résigné. Ses sentiments sont suggérés par l'expression de son visage et par la position de ses bras. L'une de ses mains tient une pelle et semble sur le point de la lâcher.

    L'idéal : Dans le fond de la composition, le terrain s'élève (étagement des tombes). Schwabe utilise souvent la montagne comme symbole de l'élévation vers un idéal.

    L'au-delà : Contrairement à de nombreux artistes, Schwabe a une vision paisible de la mort et de l'au-delà. Le personnage de la Mort n'a pour lui rien de macabre ou d'effrayant. Au contraire, c'est une femme douce et bienveillante. La mort est à la fois un espoir et un accomplissement.

     

     

     Blanche est la neige, vêtue de sa robe mortuaire ;

    Dépouillés, sont les arbres ! Vivante est leur sève,

    Qui sommeille sous l'écorce charnue, racines en terre ;

    Voici venir :  l'ange noir, dans ce jour qui s'achève...

     

    "Ne suis-je, que gardien de toutes ses sépultures ?

    Moi, fossoyeur, creusant la dernière demeure,

    Avec une pelle, mains nues, aux stigmates d'engelures,

    L'endroit pour ma dépouille, en son temps, son usure ?

     

    Au loin carillonne, le son d'une cloche ;

    Résonne son triste glas, en ma vieille caboche...

    Quel doux supplice que de finir ainsi ! Étrange,

    Est mon crépuscule de vie, près de cet ange...

     

    Qu'il est beau cet endroit, près de ce saule pleureur !

    Évocation de tant de souvenirs, rires et pleurs !

    Aucune nostalgie, regret ! Tu es l'arbre de vie,

    Que j'ai choisi pour être près de toi, vieil ami.

     

    Résigné, je le suis ; j'attends cette heure, apaisé.

    Ô bel ange ! Visage bien-aimé, adoré !

    Sous tes ailes noires, tu m'enveloppes de protection ;

    Nulle peur, nulle crainte ! Dans tes yeux, j'y lis « affection ».

     

    Ô mon bel ange ! 'A la peau nue couleur albâtre,

    A tes doux yeux, ta bouche, ta chevelure noirâtre...

    Quelle belle vision ! Même si le parfum de la mort,

    Se diffuse dans l'air du soir qui vient, je m'endors...

     

    Donne-moi un dernier baiser, par tes lèvres,

    Que je puisse me repaître, en mes frissons de fièvre !

    Dernière volonté d'un vivant, pour son existence ;

    M'affranchir des secrets de mon vivant, en mon silence...

     

    Qui a dit que la mort est un dialogue, « esprit et cendre » ?

    Magnifique vers, à l'heure où je vais m'étendre...

    « Décompose-toi » ! Me dit la mort, avec reconnaissance ;

    « Mais Madame ! J'ai en moi, une grande espérance ! ».

     

    L'ange noir m'étreint de tant d'amour !

    Son sourire est mon espoir, mon accomplissement.

     

     Mon âme est libre ! De son vieux corps de poussière...

    Le vent froid, fait valser les flocons, aux ornières ;

    Aurais-je imaginé mon trépas, dernier instant ?

    Dans cette immortelle neige, hiver si blanc...

     

    Blanche est la neige, vêtue de sa robe mortuaire ;

    Dépouillés, sont les arbres ! Vivante est leur sève,

    Qui sommeille sous l'écorce charnue, racines en terre ;

    Voici, venir l'ange noir, dans ce jour qui s'achève...

     

    Je lui confie mon manteau d'argile...".

     

    CorpsRimes

     

    L'Ange noir00054472

     

     

    PS : La huitième strophe, est inspirée d'un recueil de 40 poèmes d'Emily Dikinson, Poème indexé n° 976 (dont je n'ai point changé le premier vers et le quatrième vers).

     

    Je vous souhaite un bon week-end de la Toussaint.

    A bientôt.

     


     

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