• Le pauvre poète

     

     

     

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    Der arme Poet, Carl Spitzweg, 1839

    Le pauvre poète, Pinakothek de Munich (1839)

    de Carl Spitzweg. 

     

    Le romantisme allemand qui centrait, au début du xixe siècle, l'homme en harmonie avec la Nature, le montre ici dans le contexte du Biedermeier qui suit la mise en place des mesures répressives (censure, contrôles) après le congrès de Karlsbad de 1819. La contestation se doit d'être moins frontale et le peintre fait preuve d'un détournement des moyens habituels pour sa satire de la société contemporaine. 

    Le pauvre poète, l'intellectuel reclus, prisés des romantiques, est alors une figure idéalisée :

    « La vie des Allemands est contemplative et imaginaire, celle des Français est toute vanité et d'activités »

    — Stendhal

    Dans son ouvrage Daumier et l’Allemagne, Werner Hofmann compare la France et l’Allemagne à travers les œuvres de Daumier et Spitzweg sur le thème du pauvre poète, qui était alors très souvent repris dans l’Art ouest-européen. L’analyste explique que les deux œuvres sont conformes au cliché énoncé par Stendhal qui veut que « la vie des allemands est contemplative et imaginaire, celle des français est toute de vanité et d’activités ». En comparant Der arme Poet de Spitzweg et Poète dans la mansarde de Daumier, Hofmann explique que « le poète allemand, à l’aise dans son monde pittoresque, ne se concentre que sur la puce qu’il tient entre ses doigts. Le Français, un mélancolique furieux, contemple avec méfiance le plafond ; le texte qu’il rédige est à coup sûr un pamphlet, un libelle enflammé ».

    sourcehttps://scribouillart.wordpress.com

    Daumier, Poète dans la mansarde, 1842

     

    Ce que Honoré Daumier traduira dans sa caricature du Poète dans la mansarde (1842), avec un poète tout à son art d'écriture d'un pamphlet enflammé.

    Le pauvre poète, caricaturé, est ici soucieux du minuscule, sans horizon, enfermé dans sa mansarde, a contario du Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich datant de 1818 (Kunsthalle de Hambourg).

    Source : Wikipédia

    Le pauvre poète de Spitzweg prend à contre-pied le stéréotype romantique de l’homme conscient de sa petitesse, face à une nature toute puissante. Le personnage de Spitzweg est un peu l’anti-héros, le contre-modèle du voyageur de Friedrich. A la place de ce rêveur grandiose au cœur d’une nature infinie, Spitzweg met en scène un individu grotesque, concentré sur le minuscule, et dont la seule perspective paysagère est le toit enneigé de la maison d’en face, qu’il ne peut apercevoir qu’au travers sa toute petite fenêtre.

    Voici une œuvre que l’on connaît bien peu en France mais qui est, par-delà le Rhin, presque aussi renommée que la Joconde. Le pauvre poète (Der arme Poet) de Carl Spitzweg est une œuvre très importante dans l’histoire de l’art allemand.

    Au début du 19ème siècle, l’Europe est marquée par le romantisme allemand. Les peintures de l’époque mettent l’homme au centre des compositions, en harmonie avec lui-même et avec la nature ou réfugié dans un monde de sentiments intérieurs. Ce mouvement de liberté individuelle connaît un coup d’arrêt avec le congrès de Karlsbad de 1819. Lors de ce congrès, les représentants des états allemands décident de mesures répressives (censure, contrôles) afin d’endiguer les risques de révolution. Commence alors le Biedermeier. La critique se fait plus insidieuse, moins frontale. L’œuvre de Carl Spitzweg est symbolique de cette contestation fine et détournée.

    Derrière des œuvres de genre apparemment anodines, Spitzweg délivre un discours souvent très satirique sur ses contemporains. Avec Der arme Poet, Spitzweg détourne la figure jusqu’alors très idéalisée par les romantiques du pauvre poète, de l’intellectuel reclus.

    Ce tableau nous dévoile l’intérieur d’une petite mansarde. Une petite cage de quelques mètres carrés dans laquelle habite un excentrique, un farfelu. Le « poète » en question se tient allongé sur un pauvre matelas. Il tient dans sa bouche une plume et regarde sa main. On a d’abord cru que l’homme tenait ainsi sa main pour déclamer des vers. Il s’écrit davantage aujourd’hui que l’ermite est en fait en train d’écraser une puce entre ses doigts. Le parapluie suspendu au plafond et l’emmitouflement du personnage nous indiquent que la pièce n’est pas chauffée et mal isolée. Certains éléments accentuent le ridicule du personnage : un pince-nez, un bonnet de nuit et des pages de poésie placées dans le poêle pour être brûlées.

    Le pauvre poète, (1839) de Carl Spitzweg, est un tableau petit (36 sur 45 cm), mais c,est le tableau le plus populaire pour les Allemands, loin devant La Joconde. Une icône. 

     Le pauvre poète

     

    Si je vous dis : "Je suis malade", me croirez-vous ?

    Non ! Je ne suis pas ce malade imaginaire !

    J'essaie de composer en vain, rimes et vers,

    Accompagné par le "houhou", d'un grand hibou !

     

    Même si ma plume me sert de thermomètre, 

    Que j'ai des araignées qui pendent au plafond ! 

    Je décompte, versifie, avec mon hexamètre

    Inscrit au mur, à la craie blanche ; vive l'action !

     

    Gît près de mon lit, feuillets épars de mon oeuvre ;

    Mes vieux os s'engourdissent, à l'heure du trépas !

    Où est ce bol de soupe qui fume ? Cet hors-d'oeuvre,

    Beurre et radis ? Abracadabra et...Glagla !

     

    Tel un prisonnier, jours comptés sur la chambranle !

    Cloué au lit, où, de doux souvenirs m'ébranle ;

    Ma muse est loin ! Il me reste son pendentif,

    De quoi réveiller mes douleurs, maux digestifs !

     

    Où es-tu mon inspiration ? Seule lumière

    En ce monde ? Même le vent éteint la chandelle,

    Il s'engouffre par la fenêtre, les toits lunaires !

    J'aspire à l'aube, au Paradis éternel !

     

    Le chiffre zéro, symbolique dans ma main,

    Révèle ma situation précaire à merveille !

    Pas de quoi allumer une simple étincelle,

    L'hiver de ma vie est bien peint : sans lendemain...

     

    Ecrire, toujours écrire ! Pour gloire, richesse ?

    Mon parapluie ne peut colmater toutes fuites !

    Quelles soient pécuniaires ou parfums d'ivresses ;

    Point de nourriture ! Ni bouteille, pour une cuite ?

     

    Ô pauvre poète ! L'intellectuel reclus !

    Existe-t-'il pour moi, une cour des miracles ?

    Le temps grignote, le pain des années révolues ;

    N'existent que mes rêves dans cette débâcle !

     

    Non ! Je ne suis point encore mort ! Poète vivant

    Dans la misère ! Envolez-vous, pensées fécondes,

    Par-delà mes sommets poétiques enivrants !

    Loin d'une pauvreté, une vie moribonde...

     

    Laissez-moi rêver, être libre en ce monde !

    Sourire, malgré tout ! Tel ce tableau la Joconde ?

    Je suis si minuscule, couché sur une paillasse,

    Sans horizon, où j'écris pour chasser angoisses !

     

    Ô misère ! Ce vieux poète, l'âme calée,

    Sur son oreiller, a pour couronne, bonnet de nuit !

    Enveloppé d'une robe de chambre rapiécée,

    Ne peut se mettre sous la dent, tendre biscuit !

     

    Tombe la neige blanche, pour linceul mortuaire,

    S'invitent rats et puces à mes noces funéraires !

    Moi, simple faiseur de vers, j'aspire à ma gloire,

    Si près des cieux, ma dernière oeuvre, en mon mouroir !

     

    « Ecrivez des livres ! vous dit-on, mais qui donc, pendant que vous en écrivez un, donne à votre bouche quelque chose à manger ? » Cité dans Heinz Gebhardt: Als die Oper mit Bier gelöscht wurde: Münchner Bilder und Geschichten von 1158 bis heute, Munich 2011, p. 64

     

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  • Commentaires

    20
    timilo
    Dimanche 23 Septembre 2018 à 06:24

    Juste un petit coucou en ce premier jour et dimanche d'automne,

    J'aime relire tes publications et tes poèmes

    Bon et doux Dimanche Corinne

    Bisous

    timilo

    • Voir les réponses
    19
    Aubry
    Samedi 22 Septembre 2018 à 11:40
    Extrêmement instructif (comme toujours), cette lecture et ce poème m'ont fait penser à ce chef d'œuvre de Balzac "illusions perdues" avec ce jeune écrivain charentais qui monte à Paris plein de rêves et d'ambition... Toujours un plaisir de vous lire et d'apprendre des choses en votre compagnie.
    • Voir les réponses
    18
    Samedi 22 Septembre 2018 à 02:16

    la poésie est une arme chargé de futur

    muchos besos

    tilk

    • Voir les réponses
    17
    Mercredi 19 Septembre 2018 à 17:53

    Bonsoir Véronique,

    Je te remercie de ta visite et de ton article que je lirai. J'ai commencé un peu sa lecture. J'y ai noté une analyse très intéressante !

    j'avais déjà écrit un poème, d'après un tableau de ce peintre, notamment "le rat de bibliothèque" qui se trouve dans ma catégorie "poèmes drôles". J'aime ce peintre, avec son humour décalé, son oeuvre caricaturale, et sa vision de la société dans lequel il vit.

    "Flic, floc", romance sous la pluie !

    Merci Véronique, de ta présence fidèle sous mes écrits et ton commentaire si pertinent ! 

    Très gros bisous, ma rose, belle soirée !

    CorpsRimes 

    Résultat de recherche d'images pour "rose poète"

    16
    Mercredi 19 Septembre 2018 à 17:24

    Merci Sedna pour ta visite fidèle à mes écrits et tes mots déposés sous cet écrit, où je rejoins ton analyse.

    Bisous, ma rose

    CorpsRimes

     

    Yeats La Rose pour jeudi poésie

    15
    Mercredi 19 Septembre 2018 à 08:38

    Belle analyse du tableau du Pauvre poète, je n'ai pas l'impression de souffrir lorsque j'écris , le siècle des Lumières par contre nous donne la souffrance décrire comme naturelle , c'est plus le manque de reconnaissance et l'ironie souvent émise à l''encontre des Poètes qui me dérange  , hélas la Poésie n'est pas prise au sérieux et cela reste douloureux , qui autour de nous se penche un peu sur nos Poèmes ? Très peu ...Mais quel Bonheur d'écrire !!!

    Merci Corinne pour tes Mots d'un Poète qui souffre 

    • Voir les réponses
    14
    Mardi 18 Septembre 2018 à 19:29

    Une image qui m'a fait songer à nos imaginations d'artistes!

    Et que je veux dédier aux poètes qui souffrent dans leur mansarde, tendrement et amicalement!

    Dragon of the Lake by Jan Patrik Krasny

     

    Mon Amie Corinne,

     

    Le poète a le sens des petits détails de la vie, les plus précieux...

     

    Il est alchimiste des émotions, démiurge de mondes fantasmagoriques.

     

    C'est un être à fleur de peau... aux antipodes du paraître et sa condition reflète souvent, hélas, le mépris de la société envers sa nature profonde « aux semelles de vent », pour songer à Rimbaud.

     

    Ton écrit est superbe ! Savoureux, ardent, lucide, lyrique ! Un constat, un cri, un chant de beauté. On ressent la peine du poète et aussi sa nature fantasque, inclassable, non conforme aux étiquettes que veut lui poser la société.

     

    Le poète est un jongleur de mots, un bateleur magique. Son sort peut être très difficile comme le montre cette oeuvre magistrale du Romantisme Allemand que tu expliques extrêmement bien !

     

    Bravo et merci pour la qualité de tes recherches et écrits.

     

    Merci également, en lettres majuscules d'amitié pour tes mots d'anniversaire, ils me sont allés droit au coeur...

     

     

     

    Je trouve terrible que nombre d'artistes soient si mal considérés... Des oeuvres sont lues, on dit « c'est formidable » et quand il s'agit de donner un peu d'argent qui ne serait pas volé à l'auteur de ces textes, pour son temps, son énergie, son engagement... Et bien... rien ou presque rien !

     

     

     

    Même si cela n'apporte pas de nourriture, comme tu le cites :

     

    « Écrivez des livres ! vous dit-on, mais qui donc, pendant que vous en écrivez un, donne à votre bouche quelque chose à manger ? » heureusement qu'il y a la fidélité des lecteurs et lectrices sur les blogs, par exemple, de vraies relations précieuses et belles, des échanges qui sont particulièrement gratifiants !

     

     

     

    Merci pour ce moment de poésie et ce voyage à travers l'art, je t'envoie de gros bisous tendresse et amitié et une myriade de pensées aux couleurs des roses...

    Je pense fort à toi

     

     

     

    Cendrine

    Une petite note d'humour et de tendresse au jardin...wink2

    Encore de gros bisous!

     

     

     

     

    • Voir les réponses
    13
    Mardi 18 Septembre 2018 à 10:01

    Me voilà enfin, fin de semaine bien occupée avec ma petite famille et hier rangements divers ... 

    Ce matin j'ai pris le temps de lire ce bel article, merci Corinne de ce partage.

    Belle semaine, soleil ce matin dans mon coin d'Ardenne, mais fraîcheur.

    Doux bisous comme des pétales de roses Lili-Marlène

    • Voir les réponses
    12
    timilo
    Mardi 18 Septembre 2018 à 06:50

    Ta poésie décrit en profondeur ce tableau ."Le poète dans sa mansarde "

    Chacun a une bonne raison d'écrire, moi j'ai écrit et publié  mon premier poème parce qu'en ce temps-là, j'étais malade et que j'avais du temps devant moi.

    J'ai eu de la chance de croiser sur mon chemin Line et Cathy qui m'ont encouragé à continuer ..et puis on s'est croisé sur nos blogs respectifs..

    Ces temps-ci je suis en pleine période de vendanges donc moins présent sur les blogs

    Douce journée CORINNE

    Bisous

    timilo

    • Voir les réponses
    11
    Lundi 17 Septembre 2018 à 19:00

    je viens d'écrire un poème pauvre poète
    les idées reste fructueuses dans la tête
    mais rien ne vient changer la vie
    celle d'un autre poète aussi
    je garde ma modestie
    devant ton écrit
    je me sens tout petit
    tout aussi malheureux que le tien
    dans ma vie rien ne va bien
    le poète reste toujours nostalgique
    il ne joue pas les romantiques
    mais devant ton écrit enchanteur
    j'ai trouvé un petit moment en bonheur
    je t'embrasse
    VL/Claude

    • Voir les réponses
    10
    Lundi 17 Septembre 2018 à 11:27
    Véronique

    A ce propos , j'ai lu , il y a peu un très bel article dédié au livre de Guillaume Cousin " Devenirs modernes du romantisme allemand" . dont voici le lien

    http://www.fabula.org/acta/document9107.php

    Tu nous offres une très belle analyse de ce tableau que je découvre . J'aime ce ton caricatural plein d’humour donné au tableau, il caractérise ,en fait cette description de la vie de l’artiste romantique qui mène en marge de la société une existence que les contemporains avaient tendance à idéaliser.

    Tes mots se posent avec brio dans cette petite mansarde . Je tends l'oreille et j'entends les gouttes d'eau qui , flic, floc, tombent sur le parapluie , douce musique pour un pauvre poète ...

    Je te souhaite une belle semaine dans la douceur de l'instant . L'été s'en va , l'automne s'en vient .

    Je t'embrasse

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    9
    Lundi 17 Septembre 2018 à 10:13

    L'écriture est une nourriture spirituelle . Elle ne résout pas tout mais permet de s'envoler vers d'autres cieux plus accueillants.. Un bel exercice de style .. bravo .

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